3 Septembre 1539 (Introduction #1)
Une sombre matinée commençait, le soleil ne perçait plus les nuages d'un gris vicieux qui recouvrait un ciel dont je ne me souvenais à peine de la couleur. Le vent soufflait emportant les feuilles des arbres comme en pleine automne. Les animaux restaient dans leur abris, pointant le bout de leur nez uniquement pour se nourrir quand leur réserve était épuisée. Devant un gros rocher où des touffes de mousses en décomposition dégageait une odeur acide, un panneau en piteux état annonçait aux étrangers leur entrée dans des terres soit-disant prospères où le calme et la paix aurait dû régner.
Je fronçai mes sourcils et grimaçai. L'odeur de pourriture omniprésente venait encore de me réveiller, me ramenant à la réalité. Dans mes rêves, j'étais une simple paysanne tout à fait normale, labourant des terres dans un pays ordinaire où chaque jour je pouvais respirer un air saint. Mais malheureusement, j'étais le parfait antipode de la normalité. Etait-ce mon apparence physique, les muscles qui renforçaient chacun de mes longs cheveux, mes moeurs culinaires, ou peut-être simplement la psychose que les rares gens que j'ai rencontré encore en vie associaient à mon esprit tourmenté.
Un long hurlement grave s'échappa de mon ventre. C'est vrai, j'avais faim. Après plusieurs jours passés sans manger, l'autre gueux commençait à râler sec. Outre la douleur de mon estomac, je sentais que mes forces n'étaient pas au top. Et ça, plus même que la faim, ça avait don de m'énerver. J'aimais la puissance. Même si la mienne était démesurée et que j'en avais pas besoin d'autant, je me suis toujours plue à me savoir la plus forte.
Après avoir proféré quelques longs jurons bien gras, je découvris de mon corps mes cheveux qui me servent la nuit de couverture pour les appliquer en dessous de moi. Lentement, ils me relevèrent et une fois debout je regardai mon corps nu un instant avec rogne. La douleur me fit presque poser un genou par terre. J'avais vraiment très faim. En même temps que je passais ma robe crasseuse et déchirée par endroit, mes cheveux se coiffèrent. Quand mes couettes furent faites, je sortis des ruines de ce qui avait dû être une ferme autre fois. Je haïssais cette demeure. Son piteux état me rappelait ma différence et ma faim. Tous ce que je voyais me donnait envie de manger.
Enfoncée de 3 pouces dans le sol, ma terrible hache avait par endroit une tinte brune dû au sang séché de mes victimes. Certes, j'étais une meurtrière, mais pas n'importe laquelle. Quand je voyais un humain, je ne pouvais m'empêcher de lui ôter la vie. Encore un sombre héritage des démons majeurs qui, en les mangeant, m'avaient transformée. Je n'attachais aucune importance à la vie humaine. Les humains ne sont que bétail et chaire à canon.
Je posai ma hache sur mon épaule et avançai le pas traînant dans la boue que les marais, à plusieurs lieux d'ici, amenait jusqu'à moi pour m'exaspérer toujours davantage. Je marchai quelque instants. A peine avais-je dépassé le rocher, le panneau de bienvenu et que ma maison fut hors de mon champs de vision qu'un bruit de galops retentit devant moi, caché par une bosse dans le terrain. Ce bruit m'était synonyme d'humain. J'empoignai ma hache à deux mains et me préparai à sauter sur le malheureux.
J'aurais voulu l'épargner, il ne m'avait rien fait. Peut-être avait-il une famille, peut-être était-ce un simple voyageur. Mais mon sang de démon bouillait déjà dans mes veines. Mes mains étaient pâteuses et l'impatience endolorissait mes jambes. J'en pouvais plus d'attendre, mes couettes furent plus fortes que moi. D'un coup dans le sol, elle me projetèrent vers l'avant. La course ainsi démarrée, je ne pouvais plus m'arrêter. Quelques pas me suffirent pour apercevoir le cavalier. Je sautai exagérément haut pour abattre ma hache sur l'homme et le décapiter d'un seul coup.
Pendant l'hurlement bestial que je poussai, je vis tout de suite que l'humain n'était pas ordinaire. Son corps recouvert d'une lourde armure sentait le sang séché et ses yeux étaient perçants. En un instant, son épée fut levée dans ma direction m'obligeant inexorablement à finir mon saut empalée. Je lâchai ma hache au dernier moment. Son poids en moins qui devait faire au moins deux fois le mien, eut pour effet de me faire dévier légèrement de ma trajectoire. Toutefois, quelque uns de mes cheveux furent tranchés.
Mon sang coulait sur mon visage. Mes cheveux hurlaient de douleurs. Je perdis mon calme habituel et une rage inégalable emporta ma raison.
Le guerrier sauta à terre et plongea l'épée en avant dans ma direction. Je ne l'avais même pas vu arriver, ma vue était brouillé par des larmes opaques.
J'entendis des petits cris aigus suivis d'un hurlement. Je voulais essuyer mes yeux avec mes cheveux mais ils ne bougèrent pas, paralysés. Je me résignai à les frotter avec mes mains et quand ce fut fait un dantesque spectacle se passait devant moi. Le guerrier était par terre, se tordant de douleurs en silence, baignant dans une marre de sang et de vomi, l'armure arrachée et le corps couvert de lacérations.
Je compris que j'avais changé. J'étais à présent une vraie démonne. Mes couettes avaient disparut pour faire place à des créatures agissant indépendamment de ma volonté.
Elles me plaquèrent contre le corps de mon ennemis et commencèrent à lui ouvrir le ventre. Le visage baignant dans ses entrailles, je sentis le goût de son sang dans ma bouche. Sans plus d'hésitation, je le dévorai. Je l'avais bien mérité.
Quand ses os furent d'un blanc poli, et qu'il ne resta sur le sol qu'une longue tache de sang, je rentrai chez moi. Enfin, je me sentais repue. Je me couchai et m'endormis.