C’était par une nuit noire mais étrangement douce, les nuages masquant les étoiles par moment. Le temps s’adoucissait depuis plusieurs lunes et il faisait bon sortir à la belle étoile afin de profiter de la nuit, de la nature et de la liberté tout simplement. Ici point de couleur, point d’alignement… Juste un cœur esseulé en proie à d’affreux doutes, des tourments infinis revenant sans cesse en boucle… Eternité de l’astre lunaire marquant la femme au fer chauffé à blanc… Gwynhafra marchait pieds nus, frappant les buissons de son bâton, inlassablement, un pas l’un après l’autre… Ses robes noires d’initiée la masquaient à d’éventuels curieux malintentionnés.
Et elle marchait, encore et encore, s’enfonçant toujours plus profondément au sein de la forêt de Broquir… Elle ne prêtait pas attention aux bruits arrivant jusqu’à ses oreilles… Qu’importe qu’elle tombât sur l’un de ces rustauds de sangliers armés, elle était à mille lieues de ces considérations. Son cœur douloureux pleurait en silence, ses yeux hurlaient sans un mot. Les larmes dévalaient ses joues en rivières argentées… Surtout lorsque la lune se dévoilait, à la faveur d’une brise chassant plus avant les nuages la cachant de temps à autre.
Souvenirs, souvenirs… Il lui semblait qu’il était là, à ses côtés, en cette nuit parmi tant d’autres… Korwinh… Tendre aimé… Disparu trop tôt…
La magicienne traçait son chemin dans les broussailles, virevoltant parmi les arbres touffus, se mouvant dans l’obscurité comme dans une seconde peau. Le terrain s’accentua et elle se sentit monter, grimper. Les arbres se firent plus éloignés les uns des autres, sans toutefois se séparer de façon à la mettre à découvert. Elle expira sous l’effort, la pente était quelque peu rude à entreprendre. Du coup ses pensées cessèrent de s’affoler en tout sens pour se concentrer sur les pas qu’elle faisait. Un pied devant, un autre, et le suivant… Il lui semblait répéter sans fin une comédie sinistre dont la fin n’existerait pas, condamnée qu’elle était à rejouer sans cesse le même morceau.
La jeune femme arriva enfin au sommet de son ascension. Et là les chênes plusieurs fois centenaires s’écartèrent enfin pour laisser place à une clairière de granit surplombant Alidhan. Elle avança jusqu’au bout, jusqu’au bord, ses orteils dans le vide. Elle écarta légèrement les bras afin d’assurer son équilibre puis releva la tête, balaya du regard le paysage qui s’offrait à elle. C’était magnifique. Elle se trouvait entre les nuages… Quelques uns, en dessous d’elle, ne parvenait pas à lui cacher la magnificence de la vue… Au dessus, peu de cumulus… Le ciel était réellement en beauté avec cette parure scintillante sur le velours de la nuit. Et la lune, la lune… Elle baignait de sa clarté prodigieuse les alentours et c’était… Indéfinissable.
Elle inspira profondément en fermant les yeux. Il serait si facile de se laisser tomber en avant, un ultime cri, une dernière chute pour l’ange noir privé de ses ailes…
Elle hurla en levant le visage vers les étoiles. Elle hurla sa peine, sa rage, elle hurla tant elle était démunie, condamnée à errer, à aimer un fantôme, un esprit… Elle l’avait cherché à Borgovil mais il n’était point parmi les ruines… Forcément, il n’y était pas mort. Elle hurla encore, telle une louve, elle hurla sa frustration, sa douleur, sa solitude malgré la guilde. Elle leva lentement la jambe droite et s’apprêta à faire le dernier pas…
… Lorsqu’une main chercha la sienne et la retint. Elle se retourna et il la tira à lui afin de l’étreindre. Pressée contre sa poitrine, elle n’osait y croire. Lui… Ici… Ils restèrent enlacés durant de longs battements de cœur. Puis elle se laissa aller en arrière afin de le regarder dans les yeux… Ces yeux… Miroirs de son âme… Il n’était pas vraiment là et sa gorge se contracta douloureusement. Revenu d’entre les morts afin de lui éviter ce geste fatal. Pourtant elle sentait la chaleur de sa peau, elle respirait le parfum de son être… Il lui sourit, l’embrassa tendrement sur les lèvres puis se fondit dans l’air tiède de la nuit. Elle tomba à genoux et pleura toutes les larmes de son corps, se pendant en avant jusqu’à ce que ses coudes touchent le sol, sa tête entre les mains.
Une bête blessée.
